Ariani – Détresse

Hem… J’avais 19 ans et j’ai vécu à ce moment-là à Kuala Lumpur, Malaisie.
Je travaillais. Euh.. j’étais indépendante. Et, euh.. j’étais en train d’essayer de me libérer et de suivre mes rêves.

Un jour, j’ai rencontré un homme Français, qui travaillait avec moi en fait, dans cette société C.G. Et, euh le.. l’alchimie était tellement forte qu’on a fini par sortir ensemble.
Quelques mois après, je me suis rendu compte que j’étais enceinte.
Je n’étais pas mariée. Euh… Je suis issue d’une famille musulmane. Et quand ma famille, hem a été au courant que j’étais enceinte, j’ai été directement disir.. disér.. dé-shé-ri-tée… Et euh… Et que à ce moment-là, il n’y avait personne qui…, qui m’acceptait. Donc, à ce moment-là, quand j’ai su que j’étais enceinte, euh.. j’ai téléphoné en fait à ce monsieur, ce.. ce.. ce Français, et je lui ai dit que je comptais garder le bébé. Et j’étais obligée de partir de Malaisie parce qu’il n’y a pas de place pour mon enfant en Malaisie, à ce moment-là, surtout par rapport à ma famille, par rapport à la communauté où je me trouvais et par rapport à la tradition.

Donc euh.. j’avais 7 mois de grossesse et.. j’ai décidé de prendre un avion et de venir en France avec mon enfant et aussi mon ex-compagnon. Parce que nous n’étions plus ensemble à ce moment.

(…silence…)

J’ai habité à ce moment-là avec ses parents.
C’était pas facile parce que en Malaisie, on est plutôt anglophones et je suis venue dans une famille qui ne parlait pas anglais, avec des coutumes très différentes. Et, euh.. j’étais souvent seule parce que mon ex-compagnon travaillait à Londres. J’ai passé la plupart de.. de.. de ce moment de grossesse toute seule avec mon enfant.

Un jour, hem… c’était à la fin de ma grossesse, j’ai… demandé en fait au papa de ma fille si… si il sera là pour pour la gross…, euh.. pour l’accouchement de ma petite. Et euh, à ce moment-là, il m’a choquée. Il m’a dit que “non, je préfère travailler; hem… de toute façon, je sais que tu t’en sortiras et que… je reviendrai pour.. pour le week-end quand… quand la petite sera déjà née”. C’était… pas facile pour moi d’accepter cette situation. Il y avait quelque chose… en moi… qui meurt. Je ne savais pas quoi faire mais je n’avais aucun autre choix que d’accepter ce qui était en train de m’arriver.

Donc euh.. à 4 heures du matin, le 6 avril 2006, j’ai perdu mes eaux.
Je suis sortie de la chambre dans la maison des parents de mon ex-compagnon et… j’ai parlé à son père en disant… je lui disais que… il était temps et que je devrais aller à l’hôpital.
Il m’a dit “écoute, prends tes affaires, on y va”. J’avais tellement peur et, hem, le papa, il m’aimait pas trop à cause des différences de religion et de traditions que euh.. que nous avions. Le contact n’était pas facile. Donc, euh il m’a conduite à l’hôpital. Il m’a laissée à la porte des urgences et, euh… il est parti.

A ce moment-là…, j… je ne savais pas… ce que je devais faire. J’ai juste suivi mon intuition et j’ai pris mes papiers et j’ai été près d’une infirmière. Je lui ai expliqué un petit peu en anglais ma situation. Ils m’ont mise dans une chambre à part. Et, euh j’étais connectée avec euh.. plein d’électrodes sur mon ventre. Ils ne m’ont pas laissée marcher. C’était… Le système d’accouchement était tellement différent d’en Malaisie… Je parlais pas la langue. Enfin, à Lille, à l’hôpital de Roubaix, il n’y avait personne qui parlait anglais. Juste un petit peu. C’était très basique, rudimentaire. (soupir) (…silence…) Et la situation était très, très difficile.

Et je suis restée à l’hôpital pour les contractions pendant 12 heures. M… ma, mon enfant ne voulait pas sortir directement. C’était très difficile. J’étais pas assez dilatée. Et euh.. à 5 heures…, non, c’était à 3 heures, je crois, de l’après-midi, le médecin était venu. Il a vérifié et il a dit “Ecoute, madame, les battements de coeur de votre fille commencent à faiblir. Vous devrez faire un choix.” Il m’a donné un papier et il m’a dit “vous devez signer ici.” Et comme je ne parlais pas Français, je ne savais pas de quoi il s’agissait. Mais intuitivement, j’ai compris que je dois signer ce papier. Et j’ai vu le mot “césarienne”. Et j’ai tout compris. Et j’ai su que, à ce moment-là (…silence…) que (soupir) que je devais me faire opérer pour euh… pour accoucher. Donc, j’ai signé. J’avais aucun choix. J’avais tellement peur. Et à ce moment-là, tout ce que je voulais, c’était ma famille, ma maman, mon père. Mais… comme j’étais un peu exilée de la famille, j… je n’avais pas cette opportunité.

Donc euh pour revenir à… à la situation, on était dans la salle d’accouchement. Ils m’ont fait une épidurale. J’étais consciente pendant toute l’opération. C’était assez rapide, en fait. Ils m’ont, euh… coupée. Et quelques minutes après, j’ai entendu les cris, les pleurs de ma fille. Elle était tellement belle.

(…silence…)

Elle euh… elle avait hem… ses cheveux, une touffe de cheveux, jusqu’à ses épaules. De grands yeux bruns. Des lèvres, on dirait une petite rose. De grandes mains. Et… quand elle m’a regardée, à ce moment-là, je m’en foutais que le papa n’était pas là. Je m’en foutais que m’a famille n’était pas là. Je m’en foutais que.. qu’il n’y avait personne autour de moi. A ce moment-là, c’était juste moi et elle. Et c’était… un de mes plus beaux euh… (…silence…) moments de ma vie.

Et euh… (…silence…) j… j’ai demandé à l’infirmière de pouvoir la garder près de moi. Et pour ça, elles étaient très, très gentilles. Pendant trois jours, c’était que nous deux. On était nues, l’une contre l’autre, tout le temps. J’ai appris comment elle était. J’ai comp… j’ai appris comment la soigner. Les infirmières étaient très, très gentilles.
Et hmm… je me sens bénie de pouvoir avoir ce… ce moment exclusif. Et je crois que ça, c’est… c’est pas quelque chose qui arrive souvent et, pour ça, je suis chanceuse.

(…silence…)

La naissance d’Aaliyah m’a émue. Et c’est une des plus belles choses qui est arrivée dans ma vie. C’était pas facile. J’étais seule mais (…silence…) ça vaut… ça vaut tout l’or du monde.

Ariani – Détresse

Hem… J’avais 19 ans et j’ai vécu à ce moment-là à Kuala Lumpur, Malaisie.
Je travaillais. Euh.. j’étais indépendante. Et, euh.. j’étais en train d’essayer de me libérer et de suivre mes rêves.

Un jour, j’ai rencontré un homme Français, qui travaillait avec moi en fait, dans cette société C.G. Et, euh le.. l’alchimie était tellement forte qu’on a fini par sortir ensemble.
Quelques mois après, je me suis rendu compte que j’étais enceinte.
Je n’étais pas mariée. Euh… Je suis issue d’une famille musulmane. Et quand ma famille, hem a été au courant que j’étais enceinte, j’ai été directement disir.. disér.. dé-shé-ri-tée… Et euh… Et que à ce moment-là, il n’y avait personne qui…, qui m’acceptait. Donc, à ce moment-là, quand j’ai su que j’étais enceinte, euh.. j’ai téléphoné en fait à ce monsieur, ce.. ce.. ce Français, et je lui ai dit que je comptais garder le bébé. Et j’étais obligée de partir de Malaisie parce qu’il n’y a pas de place pour mon enfant en Malaisie, à ce moment-là, surtout par rapport à ma famille, par rapport à la communauté où je me trouvais et par rapport à la tradition.

Donc euh.. j’avais 7 mois de grossesse et.. j’ai décidé de prendre un avion et de venir en France avec mon enfant et aussi mon ex-compagnon. Parce que nous n’étions plus ensemble à ce moment.

(…silence…)

J’ai habité à ce moment-là avec ses parents.
C’était pas facile parce que en Malaisie, on est plutôt anglophones et je suis venue dans une famille qui ne parlait pas anglais, avec des coutumes très différentes. Et, euh.. j’étais souvent seule parce que mon ex-compagnon travaillait à Londres. J’ai passé la plupart de.. de.. de ce moment de grossesse toute seule avec mon enfant.

Un jour, hem… c’était à la fin de ma grossesse, j’ai… demandé en fait au papa de ma fille si… si il sera là pour pour la gross…, euh.. pour l’accouchement de ma petite. Et euh, à ce moment-là, il m’a choquée. Il m’a dit que “non, je préfère travailler; hem… de toute façon, je sais que tu t’en sortiras et que… je reviendrai pour.. pour le week-end quand… quand la petite sera déjà née”. C’était… pas facile pour moi d’accepter cette situation. Il y avait quelque chose… en moi… qui meurt. Je ne savais pas quoi faire mais je n’avais aucun autre choix que d’accepter ce qui était en train de m’arriver.

Donc euh.. à 4 heures du matin, le 6 avril 2006, j’ai perdu mes eaux.
Je suis sortie de la chambre dans la maison des parents de mon ex-compagnon et… j’ai parlé à son père en disant… je lui disais que… il était temps et que je devrais aller à l’hôpital.
Il m’a dit “écoute, prends tes affaires, on y va”. J’avais tellement peur et, hem, le papa, il m’aimait pas trop à cause des différences de religion et de traditions que euh.. que nous avions. Le contact n’était pas facile. Donc, euh il m’a conduite à l’hôpital. Il m’a laissée à la porte des urgences et, euh… il est parti.

A ce moment-là…, j… je ne savais pas… ce que je devais faire. J’ai juste suivi mon intuition et j’ai pris mes papiers et j’ai été près d’une infirmière. Je lui ai expliqué un petit peu en anglais ma situation. Ils m’ont mise dans une chambre à part. Et, euh j’étais connectée avec euh.. plein d’électrodes sur mon ventre. Ils ne m’ont pas laissée marcher. C’était… Le système d’accouchement était tellement différent d’en Malaisie… Je parlais pas la langue. Enfin, à Lille, à l’hôpital de Roubaix, il n’y avait personne qui parlait anglais. Juste un petit peu. C’était très basique, rudimentaire. (soupir) (…silence…) Et la situation était très, très difficile.

Et je suis restée à l’hôpital pour les contractions pendant 12 heures. M… ma, mon enfant ne voulait pas sortir directement. C’était très difficile. J’étais pas assez dilatée. Et euh.. à 5 heures…, non, c’était à 3 heures, je crois, de l’après-midi, le médecin était venu. Il a vérifié et il a dit “Ecoute, madame, les battements de coeur de votre fille commencent à faiblir. Vous devrez faire un choix.” Il m’a donné un papier et il m’a dit “vous devez signer ici.” Et comme je ne parlais pas Français, je ne savais pas de quoi il s’agissait. Mais intuitivement, j’ai compris que je dois signer ce papier. Et j’ai vu le mot “césarienne”. Et j’ai tout compris. Et j’ai su que, à ce moment-là (…silence…) que (soupir) que je devais me faire opérer pour euh… pour accoucher. Donc, j’ai signé. J’avais aucun choix. J’avais tellement peur. Et à ce moment-là, tout ce que je voulais, c’était ma famille, ma maman, mon père. Mais… comme j’étais un peu exilée de la famille, j… je n’avais pas cette opportunité.

Donc euh pour revenir à… à la situation, on était dans la salle d’accouchement. Ils m’ont fait une épidurale. J’étais consciente pendant toute l’opération. C’était assez rapide, en fait. Ils m’ont, euh… coupée. Et quelques minutes après, j’ai entendu les cris, les pleurs de ma fille. Elle était tellement belle.

(…silence…)

Elle euh… elle avait hem… ses cheveux, une touffe de cheveux, jusqu’à ses épaules. De grands yeux bruns. Des lèvres, on dirait une petite rose. De grandes mains. Et… quand elle m’a regardée, à ce moment-là, je m’en foutais que le papa n’était pas là. Je m’en foutais que m’a famille n’était pas là. Je m’en foutais que.. qu’il n’y avait personne autour de moi. A ce moment-là, c’était juste moi et elle. Et c’était… un de mes plus beaux euh… (…silence…) moments de ma vie.

Et euh… (…silence…) j… j’ai demandé à l’infirmière de pouvoir la garder près de moi. Et pour ça, elles étaient très, très gentilles. Pendant trois jours, c’était que nous deux. On était nues, l’une contre l’autre, tout le temps. J’ai appris comment elle était. J’ai comp… j’ai appris comment la soigner. Les infirmières étaient très, très gentilles.
Et hmm… je me sens bénie de pouvoir avoir ce… ce moment exclusif. Et je crois que ça, c’est… c’est pas quelque chose qui arrive souvent et, pour ça, je suis chanceuse.

(…silence…)

La naissance d’Aaliyah m’a émue. Et c’est une des plus belles choses qui est arrivée dans ma vie. C’était pas facile. J’étais seule mais (…silence…) ça vaut… ça vaut tout l’or du monde.


A propos de cette rencontre

Pour résumer, je pourrais dire que je ne connaissais pas Ariani avant cette rencontre photographique.

Nous avions eu quelques contacts d’ordre professionnels au cours desquels elle m’avait parlé de son travail d’artiste peintre et moi de mon goût pour la photo.

Nous sommes devenus « amis » sur Facebook. Et, comme d’autres, elle a répondu positivement à mon appel à modèles!

Malgré un stress de ma part plus important qu’à l’accoutumée (ce n’est pas si simple de photographier quelqu’un que l’on connaît si peu), la séance s’est déroulée comme un rêve… En dehors du fait qu’elle accroche joliment la lumière, les émotions qu’elle a décidés de me livrer, et notamment celle-ci, sont authentiquement bouleversantes.

Son parcours de vie est étonnant et plein de rebondissements. Il débute en Malaisie, pays dont elle est originaire, et se poursuit en France puis en Belgique. Il est ponctué par des études scientifiques, par diverses tentatives entrepreneuriales et surtout par un irrépressible besoin de créer. C’est d’ailleurs dans son ancien atelier que j’ai eu le plaisir de la photographier.

Mais au coeur de ce parcours étonnant, il y a cet événement qu’elle me confie. Ou plutôt cet enchaînement d’événements.

Aujourd’hui encore, à l’heure de publier, je reste très profondément touché qu’elle ait jugé mon projet digne d’être le dépositaire d’instants aussi intimes.

Je le lui ai déjà dit quelques fois mais je le répète ici une fois de plus: merci Ariani pour ta confiance et ta générosité.