Christophe – Panique

Okaaay. Alors…

(…silence…)

Ca va venir, hein. Un petit peu de patience. Je suis juste un petit peu en train de me concentrer.

(…silence…)

En fait, j’avais déjà eu des attaques de panique mais qui étaient extrêmement graves. Et, euh…, qui pouvaient complètement me griller le cerveau. Notamment, j’en avais déjà eue une qui m’avait laissé, euh, à la limite du catatonique pendant 2 semaines. Et, je pensais avoir quand même réussi à reprendre les choses en main. Mais en fait, pas du tout.

Donc euh… Et j’ai découvert un jour que… le stress pouvait m’amener à des endroits où il m’était absolument impossible de contrôler ce qu’il m’arrivait. Et donc, c’est arrivé un jour où, euh, j’étais dans une situation professionnelle qui était difficile. La situation sentimentale était difficile aussi. Et je me battais tous les jours pour me lever, aller au travail et sortir quelque chose et revenir à la maison en espérant trouver un petit peu de paix. Mais je n’en trouvais jamais. Quel que soit l’endroit où je me trouvais, c’était la guerre.

Alors, j’ai commencé à avoir des petites alertes. Très discrètes. …hmm, j’ai pas vraiment fait très attention. La première alerte, c’était un jour où je me retrouvais à quitter le travail à quasiment 21 heures; je prenais le chemin pour retourner à la maison. C’était un chemin de 30 kilomètres. Et à 15 kilomètres, j’avais toujours une idée en tête qui était: j’avais oublié quelque chose. Et donc, j’ai fait le retour.0 15 kilomètres aller, 15 kilomètres retour. Retourner sur le lieu de travail. Et découvrir que, si j’avais oublié quelque chose, je ne savais pas ce que c’était. Et donc, je repartais et 15 kilomètres après, je me disais que j’avais oublié quelque chose. Je suis retourné. J’ai fait l’aller-retour pendant 3 fois. La 4ème fois, je me suis dit que je ne devais pas faire attention à ce genre de choses et je me suis retrouvé à la maison, en me rendant compte que j’avais oublié… mes clés sur la table du travail. Donc j’ai dû faire tout le chemin de retour pour revenir.

Alors c’est une anecdote qui fait assez rigoler. Après tout, ha ha, c’est de la distraction. Mais non. C’est pas de la distraction. C’est un moment où vraiment, euh… le cerveau est en alerte et on est incapable de formuler ce qui arrive.
Alors, on mettait ça sur le compte de la distraction. D’accord… et j’ai pas… pas fait attention. J’ai laissé les choses tourner. Et puis un jour, alors que la pression au travail devenait vraiment de plus en plus dure, j’ai… fini ma journée complètement épuisé. J’ai réussi à boucler mon travail à 5 heures, 5 heures et demi et je pensais rentrer chez moi. Avant ça, passer à la Médiathèque pour prendre des disques et puis, euh… rentrer à la maison et profiter de mon week-end. Et tout ce dont je me souviens, c’est que j’ai quitté mon travail. Je suis monté dans ma voiture. Et puis, rien! Rien du tout.

Je me suis réveillé à 180 à l’heure, euh, sur le viaduc Herman Debroux. Absolument incapable de dire ce qui s’était passé entre le moment où j’avais mis les pieds dans la voiture et le moment où j’étais arrivé là. J’étais dans un état d’inconscience totale. Et j’ai été réveillé par le bruit de mes roues qui avaient heurté violemment des bosses sur la route.
J’aurais pu me tuer ce jour-là.
S’il n’y avait pas eu une route en mauvais état, j’aurais pu, euh, rentrer dans la ville à 180 à l’heure sans absolument me rendre compte de… de ce que j’étais en train de faire.

J’ai réussi à faire descendre la pression un petit peu et puis je me suis dit que j’allais quand même passer à la Médiathèque. Et donc, je me suis rendu en ville. J’ai garé ma voiture. Je n’avais pas d’argent avec moi. Je me suis dit que j’allais prendre de l’argent. J’ai pris 20 euros. Et puis, de nouveau, plus rien. J’étais parti du boulevard du Botanique et à peu près 20 minutes après, j’étais place de Brouckère. J’avais pas mon billet de 20 euros. J’avais pas mes disques avec moi. Et j’étais en train de… d’être en très grande conversation avec moi-même au milieu de la place de Brouckère.

(…silence…)

Je n’ai finalement pas pris de disque. Je suis rentré à la maison et j’étais terrifié. Parce qu’à ce moment-là, alors que j’avais déjà eu des attaques de panique mais, euh, dans lesquelles j’avais encore l’impression d’avoir du contrôle, là, je commençais à avoir des vrais… blancs! Où il était absolument impossible de savoir ce que j’avais fait pendant la période. Où euh… je n’avais euh aucune… aucune conscience. Je fonctionnais en pilote automatique. Et mon pilote automatique était en train de m’envoyer absolument n’importe où.

(…silence…)

Alors, ce jour-là, j’ai pris une… décision très impulsive. Que personne n’a comprise. Hem… ça a été perçu, euh, comme… un abandon, de la lâcheté, de la bêtise, de… n’importe quoi: j’ai décidé de donner ma démission.
Et… voilà. ‘fin, je ne tenais pas le travail seul responsable de mes problèmes mais, en tout cas, il y contribuait beaucoup. Et, euh, je m’étais dit que si tous les jours je devais prendre le volant pour, euh, risquer d’envoyer ma voiture, euh, hors de l’autoroute à 180 à l’heure, ça ne valait pas la peine.
Et donc, j’ai quasiment immédiatement annoncé ma démission.
C’était un geste de pure survie…

(…silence…)

C’était un geste nécessaire.

(…silence…)

Parce qu’il était impossible pour moi de reprendre le contrôle sur ma tête.
Quand j’ai donné ma démission, je suis allé… au chômage essayer d’expliquer que… même si j’avais démissionné, il faudrait peut-être que j’ai des moyens de survivre… Hé… j’ai été orienté vers la fondation Travail et Santé pour des questions de stress handicapant. La fondation Travail et Santé a bâti un dossier qui m’a permis de toucher mon chômage malgré le fait que c’était moi qui avais décidé de partir.

Je n’ai jamais donné la véritable explication de mon départ. Je pense que je dois avoir déçu pas mal de monde. Personne n’a compris. Mais… c’était très difficile à expliquer que… j’étais absolument persuadé que si je remettais mes pieds… dans la voiture pour aller au travail… j’étais bon pour mourir.

Christophe – Panique

Okaaay. Alors…

(…silence…)

Ca va venir, hein. Un petit peu de patience. Je suis juste un petit peu en train de me concentrer.

(…silence…)

En fait, j’avais déjà eu des attaques de panique mais qui étaient extrêmement graves. Et, euh…, qui pouvaient complètement me griller le cerveau. Notamment, j’en avais déjà eue une qui m’avait laissé, euh, à la limite du catatonique pendant 2 semaines. Et, je pensais avoir quand même réussi à reprendre les choses en main. Mais en fait, pas du tout.

Donc euh… Et j’ai découvert un jour que… le stress pouvait m’amener à des endroits où il m’était absolument impossible de contrôler ce qu’il m’arrivait. Et donc, c’est arrivé un jour où, euh, j’étais dans une situation professionnelle qui était difficile. La situation sentimentale était difficile aussi. Et je me battais tous les jours pour me lever, aller au travail et sortir quelque chose et revenir à la maison en espérant trouver un petit peu de paix. Mais je n’en trouvais jamais. Quel que soit l’endroit où je me trouvais, c’était la guerre.

Alors, j’ai commencé à avoir des petites alertes. Très discrètes. …hmm, j’ai pas vraiment fait très attention. La première alerte, c’était un jour où je me retrouvais à quitter le travail à quasiment 21 heures; je prenais le chemin pour retourner à la maison. C’était un chemin de 30 kilomètres. Et à 15 kilomètres, j’avais toujours une idée en tête qui était: j’avais oublié quelque chose. Et donc, j’ai fait le retour.0 15 kilomètres aller, 15 kilomètres retour. Retourner sur le lieu de travail. Et découvrir que, si j’avais oublié quelque chose, je ne savais pas ce que c’était. Et donc, je repartais et 15 kilomètres après, je me disais que j’avais oublié quelque chose. Je suis retourné. J’ai fait l’aller-retour pendant 3 fois. La 4ème fois, je me suis dit que je ne devais pas faire attention à ce genre de choses et je me suis retrouvé à la maison, en me rendant compte que j’avais oublié… mes clés sur la table du travail. Donc j’ai dû faire tout le chemin de retour pour revenir.

Alors c’est une anecdote qui fait assez rigoler. Après tout, ha ha, c’est de la distraction. Mais non. C’est pas de la distraction. C’est un moment où vraiment, euh… le cerveau est en alerte et on est incapable de formuler ce qui arrive.
Alors, on mettait ça sur le compte de la distraction. D’accord… et j’ai pas… pas fait attention. J’ai laissé les choses tourner. Et puis un jour, alors que la pression au travail devenait vraiment de plus en plus dure, j’ai… fini ma journée complètement épuisé. J’ai réussi à boucler mon travail à 5 heures, 5 heures et demi et je pensais rentrer chez moi. Avant ça, passer à la Médiathèque pour prendre des disques et puis, euh… rentrer à la maison et profiter de mon week-end. Et tout ce dont je me souviens, c’est que j’ai quitté mon travail. Je suis monté dans ma voiture. Et puis, rien! Rien du tout.

Je me suis réveillé à 180 à l’heure, euh, sur le viaduc Herman Debroux. Absolument incapable de dire ce qui s’était passé entre le moment où j’avais mis les pieds dans la voiture et le moment où j’étais arrivé là. J’étais dans un état d’inconscience totale. Et j’ai été réveillé par le bruit de mes roues qui avaient heurté violemment des bosses sur la route.
J’aurais pu me tuer ce jour-là.
S’il n’y avait pas eu une route en mauvais état, j’aurais pu, euh, rentrer dans la ville à 180 à l’heure sans absolument me rendre compte de… de ce que j’étais en train de faire.

J’ai réussi à faire descendre la pression un petit peu et puis je me suis dit que j’allais quand même passer à la Médiathèque. Et donc, je me suis rendu en ville. J’ai garé ma voiture. Je n’avais pas d’argent avec moi. Je me suis dit que j’allais prendre de l’argent. J’ai pris 20 euros. Et puis, de nouveau, plus rien. J’étais parti du boulevard du Botanique et à peu près 20 minutes après, j’étais place de Brouckère. J’avais pas mon billet de 20 euros. J’avais pas mes disques avec moi. Et j’étais en train de… d’être en très grande conversation avec moi-même au milieu de la place de Brouckère.

(…silence…)

Je n’ai finalement pas pris de disque. Je suis rentré à la maison et j’étais terrifié. Parce qu’à ce moment-là, alors que j’avais déjà eu des attaques de panique mais, euh, dans lesquelles j’avais encore l’impression d’avoir du contrôle, là, je commençais à avoir des vrais… blancs! Où il était absolument impossible de savoir ce que j’avais fait pendant la période. Où euh… je n’avais euh aucune… aucune conscience. Je fonctionnais en pilote automatique. Et mon pilote automatique était en train de m’envoyer absolument n’importe où.

(…silence…)

Alors, ce jour-là, j’ai pris une… décision très impulsive. Que personne n’a comprise. Hem… ça a été perçu, euh, comme… un abandon, de la lâcheté, de la bêtise, de… n’importe quoi: j’ai décidé de donner ma démission.
Et… voilà. ‘fin, je ne tenais pas le travail seul responsable de mes problèmes mais, en tout cas, il y contribuait beaucoup. Et, euh, je m’étais dit que si tous les jours je devais prendre le volant pour, euh, risquer d’envoyer ma voiture, euh, hors de l’autoroute à 180 à l’heure, ça ne valait pas la peine.
Et donc, j’ai quasiment immédiatement annoncé ma démission.
C’était un geste de pure survie…

(…silence…)

C’était un geste nécessaire.

(…silence…)

Parce qu’il était impossible pour moi de reprendre le contrôle sur ma tête.
Quand j’ai donné ma démission, je suis allé… au chômage essayer d’expliquer que… même si j’avais démissionné, il faudrait peut-être que j’ai des moyens de survivre… Hé… j’ai été orienté vers la fondation Travail et Santé pour des questions de stress handicapant. La fondation Travail et Santé a bâti un dossier qui m’a permis de toucher mon chômage malgré le fait que c’était moi qui avais décidé de partir.

Je n’ai jamais donné la véritable explication de mon départ. Je pense que je dois avoir déçu pas mal de monde. Personne n’a compris. Mais… c’était très difficile à expliquer que… j’étais absolument persuadé que si je remettais mes pieds… dans la voiture pour aller au travail… j’étais bon pour mourir.


A propos de cette rencontre

Christophe, c’est un pote. Une pote depuis plus de 25 ans.

On s’est rencontré au sein d’un jury de jeunes au festival du film de Bruxelles. L’intelligence de son point de vue sur le cinéma et l’intensité de sa façon de l’exprimer m’ont instantanément séduit.

Christophe, c’est aussi quelqu’un traversé de douleurs profondes. Quelqu’un qui fut sujet à des crises de paniques, à des comportements compulsifs; quelqu’un dont le corps tout autant que l’esprit pouvaient se mettre aux abonnés absents. C’est quelqu’un qui n’est toujours pas à l’abri mais qui fait son chemin. Car c’est aussi un homme qui s’est battu et se bat encore contre ses démons. Un homme d’une profonde lucidité envers lui-même, qui a fait sienne la démarche Socratique « Connais-toi toi-même ».

Il fut le premier à embrayer sur mon projet.

Cette première anecdote qu’il m’a relatée est glaçante. Il a souhaité me la raconter pendant qu’il faisait une séance de méditation dans mon jardin.

C’était au mois de juin. Il faisait doux. Et j’ignorais encore, même si je les espérais, quelles richesses allaient m’apporter ces rencontres.

Merci Christophe !