Laurence – Solitude

Hem…
En fait, c’est… quand.. quand tu m’as demandé de.. de trouver les sujets de… bèh des thématiques pour euh.. pour ce projet artistique, je.. j’avais un peu du mal à…
Enfin, une émotion, c’est quand même quelque chose de compliqué à… à.. à trouver. Parce que, enfin moi, c’qui m’caractérise c’est que j.. j.. je.. je ressens, enfin je vis qu.. que à travers ça pratiquement donc… C’était compliqué de faire un choix à travers toutes celles qui me traversent de manière régulière. Et donc, comme.. comme je te l’ai dit au début du truc, j’ai… je suis partie plus vers un sentiment. Quelque chose qui est récurrent justement. Plutôt qu’une émotion.
Et donc il y a quelque chose qui euh… mmm… qui habite ma vie euh… C’est.. c’est la.. c’est la s.. c’est le fait de me sentir seule.
Dans mon couple.

C’est quelque chose qui revient… De manière régulière ou qui existe dans mon couple à c.. certains niveaux de.. de… de la relation.
Et… j’ai.. j’ai eu ça.. avec évidemment les hommes avec qui j’ai été en couple. Hem… J’ai eu ça avec tous.. avec qui j’ai eu une relation longue.. ‘fin avec un amour assez euh.. mature. Donc.. donc pas euh, pas les.. pas les amourettes, pas.. pas les passions qui m’ont traversée. Et.. et ça c’est traduit de.. de.. de différentes manières, quoi. C’est comme si euh.. à chaque forme de solitude, j.. je..je devais faire l’apprentissage de… de l’accepter. De l’accepter ou.. ou… je sais pas. En tout cas, ça existe et qu’est-ce que je fais avec ça?
Voilà.

Donc euh…
La.. la..la toute première fois que je m’suis sentie seule au sein d’un couple, c’était euh.. c’était avec euh… c’était avec Naoufel en fait. Naoufel qui était un.. un de mes premiers petits amis euh qui était tunisien. Une espèce de grand.. de grand échalas comme ça. Tout maigre. Et hem… et en fait, on s’entendait super bien. ‘fin on.. on avait une grande complicité culturelle, musicale. C’est un homme qui m’a fait découvrir plein de musiques, qui m’a… avec qui je sortais beaucoup. On allait beaucoup au cinéma. On a… Donc.. donc la culture, c’est quelque chose qui nous.. qui..qui nous rassemblait. Mais euh.. mais…..mais la…..la.. la solitude que j’ai ressentie avec lui, c’était une solitude sexuelle. Et.. et c’était.. et c’était terrible parce que… il y avait des sentiments des deux côtés. Il y avait des envies de… de se faire du bien. Y avait.. y avait une.. une intention de… une intention d’être un vrai couple quoi, donc euh… où on consomme.. Et ça.. et ça ne fonctionnait pas. Ca ne fonctionnait pas, donc euh.. donc je (…silence…) Tu me comprends. (…rires…) A chaque fois que je… à chaque fois que je… à.. à chaque fois qu’on faisait l’amour, c’était.. en gros, c’était la catastrophe quoi.
C’était.. c’était euh.. C’était l’désert.. c’était l’désert de.. physiquement, ‘fin je.. j… j.. je n’sais pas expliquer. J’crois qu’c’était.. c’était une histoire de.. de chimie qui n’était pas compatible, simplement. Parce que c.. c’est ce que j’ai fini par accepter. Mais évidemment, moi je n.. voilà, j’peux pas vivre en couple avec quelqu’un avec qui je ne peux pas faire l’amour correctement. C’est pas possible. J’crois que lui non plus. Je crois que c’était quelque chose… Ce qui était compliqué, c’est qu’on était jeunes et qu’en discuter, ce n’était pas euh la chose la plus facile à faire. Donc euh… Donc, on n’en a pas beaucoup parlé et je crois que notre relation c’est un peu terminée comme ça sur un… En queue de poisson, hem… Voilà. Donc, solitude sexuelle.

Après… après, il y a eu Philippe. Où il y a eu d’autres formes de solitudes qui.. qui elles étaient… à définir. C’étaient euh… ‘fin là je…..je.. je.. je n’le rej.. rejoignais pas où il était parce qu’il était bipolaire. Mais euh… sérieusement bipolaire donc. Maniaco-dépressif. Et donc que ce soit dans ses.. dans ses moments de folie ou que ce soit dans.. dans ses déprimes les p.. la… la plus totale… Les seuls moments où j’étais en…..en réelle connexion avec lui, c’était au moment où le lithium faisait correctement son effet et qu’il était un peu stabilisé. C’qui dur.. ce qui ne durait jamais euh très.. très longtemps. Et donc euh.. donc régulièrement, je.. je m’sentais toute seule quoi. Parce que.. parce que parfois j’rentrais, il était enfermé dans une armoire. Ca durait des… des.. des semaines et il restait enfermé dans une armoire. Puis, il voulait plus voir les gens. Et puis, il y a des fois, euh… euh.. je rentrais, il y avait des gens chez moi. Il y avait une fille dans mon lit, euh… (rires) Il.. Il ne contrôlait pas tout à fait non plus ses.. sa libido. Donc.. donc euh.. de la sex.. de… de.. de la solitude sexuelle, j’en ai peu connue avec lui mais en même temps, voilà… je… j..je n’a.. je n’étais pas toute seule à le partager, ‘fin… Et donc.. et donc voilà, impossible de le.. hem… voilà.. une solitude dans.. dans la normalité. Je me sentais bêtement normale. Et ma solitude dans le couple, c’était ça. Tu vois, c’était.. euh… c’ét.. c’était impossible de rejoindre sa folie. Impossible. (…silence…) Mais ça, il m’a fallu du temps pour euh.. pour accepter euh l.. le fait que ça n’allait pas fonctionner parce que j’étais raide dingue de lui, parce qu’il y avait… parce qu’il y avait un amour profond.. entre lui et moi. Et hem.. voilà.
(…silence…)
Voilà. Je ne sais pas s’il est seul où il est en fait. Il a… il a décidé de se donner la mort donc euh…
(…silence…)
Voilà.

(…silence…)

Et puis alors, il y a eu Olivier G. Le père de mes enfants. Et alors lui… avec lui, je me suis sentie très longtemps… euh… pas seule! Je me dis ça y est, j’ai trouvé l’Eldorado. Hem…
(…silence…)
Et en fait, on est.. on.. on.. on.. on s’entendait sur euh.. sur plein de points et on était dans une communion euh.. dans une communion d’esprit, dans une communion de corps assez forte aussi hein… En tout cas pendant très longtemps. Et.. et puis euh… (…silence…) Et puis un jour en fait, je m.. je m’souviendrai toujours euh.. le moment où.. où.. où.. où l.. où la solitude dans ce couple m’est tombée euh… sur la tronche.
C’ét.. c’était.. c’était sur la terrasse, chez nous. Il y avait des copains qui étaient là. Il y avait de la musique. Il y avait des conversations dans tous les sens. Tout le monde avait un peu bu, euh.. avait un peu fumé et tout ça. Et hem… Et il parlait d’un… d’un.. d’une histoire, d’un s.. d’une idée de scénario avec quelqu’un et euh… ‘fin, ça faisait quand même un an et demi, deux ans que.. qu.. qu’il avait décidé de devenir indépendant. Qui.. qui.. qu’il qui.. qui.. qu’il voulait euh.. tester, tenter l’écriture, que ce soit journalistique ou autre, créative et.. Et en fait, il a… J.. Je l’ai suivi dans.. dans.. dans ses débuts d’écriture. Et donc, j’ai énormément relu ce qu’il faisait. J.. je lui ai donné tout le temps des feedbacks constructifs. J’ai corrigé des choses. Euh… on parlait de ses idées etc. Et puis là, i.. i.. il parle à cette euh.. à cette personne, je crois que c’était un copain. Et euh.. et j’entends qu’il raconte une histoire et moi j’étais.. j’étais occupée à terminer ma conversation avec quelqu’un d’autre. Et puis un moment donné, je me retourne pour entrer dans la conversation. Je lui dis hem.. “tiens, c’est quoi ce.. cette idée dont tu parles?..”, – je ne sais plus avec qui c’était; je me demande si c’était pas avec Jacques, Jacques T. Et là, il se retourne vers moi et il me dit, euh… “Je.. je ne dois pas te parler de tout.” (…silence…) Et je lui dis euh.. “OK.” Et euh.. je dis “Non mais c’est parce que comme tu me fais lire plein de choses et tout hem…” Et là, il me dit “De toute façon, Laurence, tu .. tu n’es plus ma muse.”
(…silence…)
Et là, j’ai senti euh.. un trou, un vide en-dessous de moi. Un.. un.. une trahison terrible. J’ai.. j’ai.. j’ai l’impression d’avoir été hem.. enfin qu’il y avait une caméra qui faisait zoom arrière et que.. que j.. qu.. que je v.. que je voy.. que je me retirais de mon corps et que je voyais la scène. Et que, comme dans.. dans les films, t.. tu vois comme quand les gens sont saouls ou qu’i.. qu’i.. hem.. ou qu’ils sont drogués ou quoi, il y a ce brouhaha, ces voix qui.. qui deviennent ouateuses euh.. le fond musical qui est un peu dis… qui.. qui… distor.. distordu, j’sais pas comment on dit. Et euh… et j’ai.. et j’ai.. j’ai.. enfin, ça a fait.. ça m’a fait un trou dans le coeur, mais terrible quoi. Terrible.
(…silence…)
Je découvrais en même temps que j’avais été sa muse et que je ne l’étais plus. Tu vois ce que je veux dire? Et c’était vraiment quelque chose de.. de terrible parce que.. parce que je n.. je n.. je n’avais eu.. euh… je n’avais pas eu à la limite l’occasion de… de.. de ressentir ce que ça avait été réellement d’être une muse quoi. Parce que c’est quand même pas… c’est quand même pas quelque chose de.. d’anecdotique quand un homme… te dit que.. que.. que tu es sa muse, tu vois. Donc, il ne me l’avait jamais dit. Ou j.. ou.. ou.. ou il ne me l’avait jamais fait ressentir et là, il m’annonçait que je ne l’étais plus. D.. donc, je me prenais les deux informations en une fois… dans la gueule, quoi, tu vois. Donc, c’est quand même assez.. euh… Et.. et.. et et j’ai vécu ce moment mais c’est.. je crois que c’est le plus grand moment de solitude que j’ai vécu dans ma vie. Vraiment. Mais vraiment, hein. J’ai.. j’ai eu du mal avec ça. J’étais.. (…silence…) (soupir) (…silence…)
J’trou.. j’trouvais ça vraiment dégueulasse quoi. J’étais.. j’étais en colère contre lui; je… c’est..c’est comme si il niait tout.. tout ce que j’avais été, tout ce que j’avais fait pour lui, tout… Tu sais, c’est.. ‘fin… J’sais pas. Quelqu’un qui décide de plaquer son boulot, qui gagnait quatre-vingt mille balles par mois à l’époque, moi, j’en gagnais cinquante mille chez Warner et qui dit à son mec euh… “ben voilà, fais ce que tu as envie de ta vie euh.. c’est maintenant que tu dois.. faire ce que tu veux” et puis que à la première occasion euh… c’est.. c’est… Dès.. dès que les ailes s’ouvrent un peu, hop, il te… il te met dans.. ‘fin, il te rejete, quoi. C’était vraiment un sentiment de rejet mais terrible quoi, c’est ça.
J.. j’ai jamais vécu ça avec quelqu’un d’autre. Jamais, jamais, jamais. C’était vraiment euh… la chose la plus dure émotionnellement qui me soit arrivée, j’crois.
J’crois que la mort de mon père était moins dure.
(…silence…)
Voilà…
Alors euh…

(…silence…)

Après il y a eu la solitude de ne pas.. de ne pas aller vers le même projet. Ca, c’était avec Eddy.
euh… où je sentais une complétude aussi très forte quand j’étais avec lui. Et euh… voilà.. son histoire n’était pas facile. J’pense qu’il avait.. il n’avait pas envie de s’engager avec moi. Et donc, je suis restée très longtemps dans.. dans dans ce sent.. sentiment de.. de… Je me sentais seule à vouloir quelque chose.
(…silence…)
Je me sentais seule à… à.. à à.. à faire avancer la relation et je me leurrais en me disant “à certains moments, il a réagi à ça ou il m’a dit ceci ou…” comme s’il y avait des états d’avancement mais ça en.. ça n’en étaient pas en fait. C’est.. c’est moi qui me faisait une histoire vraiment toute seule dans ma tête. Là, j’crois que c’était plus m’accrocher à une illusion que je p.. je r.. je pouvais refaire un couple qu’autre chose en fait. Et donc, j’ai vécu ça euh…
Mais les moments de solitude que j’ai s.. que j’ai vécus avec lui aussi étaient très forts parce que.. comme j’étais beaucoup seule, je ne le voyais pas beaucoup – c’était sa manière de fonctionner – on.. on se voyait parfois euh.. toutes les deux, trois semaines. On passait vingt-quatre heures ensemble. Je reprenais un gros shoot et puis hem… Et puis je restais dans cette solitude et alors c’était vraiment marrant parce que, parce que… mes sent.. les sentiments étaient très forts les quarante-huit premières heures. J.. je.. j’étais habitée de lui, j’étais enivrée de sa présence, de sa peau, de son odeur, de… de la musique qu’on avait écoutée, de ce qu’on avait mangé, de ce qu’on avait bu, de nos promenades, des discussions, enfin d.. de.. de.. de rrhhh tout ce truc. Et puis petit à petit, je.. j.. j’arrivais à un moment où ça basculait dans le manque et j’étais comme une droguée. Heu… un truc… je.. j’errais comme ça dans.. dans… dans.. dans.. avec la seule envie, c’était.. c’était de me re.. renourrir de.. de.. de lui quoi.
(…silence…)
C’est très particulier comme truc. (…silence…) Voilà…

[…]

Et alors ici, ben voilà, ici, ça fait quatre ans aujourd’hui que.. que je sors avec euh… avec Olivier M. Et.. hmmm…
(…silence…)
Et lui, en fait, je souffre de ses.. c’est pas “je souffre de ses absences”, je souffre de ses non présences.
(…silence…)
Parce que… l’être… l.. quand la personne est absente, c’est.. c’est.. c’est pas ce qui est le plus dur pour moi. C’est quand la personne n’est pas avec moi au moment où il est avec moi, physiquement. Voilà, et il y a des moments… y a beaucoup de moments comme ça et je pense que c’est lié à… à un travail qu’Olivier doit faire sur lui-même. A… hem, voilà, je crois que c’est un homme qui a des choses à régler. Il doit se réconcilier… avec qui il est. Aller vers.. vers un… vers qui il est vraiment j’crois. Et donc, euh… la solitude par rapport à lui, c’est.. c’est.. c’est lié à l’intensité. C’est que parfois j’ai l’impression de.. de.. de m’exalter toute seule. Qu’y a pas de… de ping-pong au niveau de.. de mon… de.. de.. de cette exaltation, de cette intensité que je lance comme ça et que ça rebondit pas sur lui, que.. que j’ai pas le… que j’ai pas le répondant euh.. aussi.. aussi intense que.. que je le souhaiterais. Que ce soit au niveau intellectuel, au niveau physique, que ce soit au niveau spirituel, ‘fin… Voilà, je suis dans un besoin de.. de.. de.. d’intensité et.. ça m’manque. Ca me manque et donc parfois, je..j’ai.. j’ai l’impression de… (…silence…) oui.. d’être tout.. d’être toute seule à avoir des besoins aussi forts quoi, tu.. aussi forts tu vois. Je.. j.. j.. je m’dis m’enfin euh… est-ce que c’est.. (…petit rire…) est-ce que c’est mon karma de me sentir si seule dans le couple pour.. enfin… C’est pas.. c’est pas… euh.. c’est pas non stop, quoi. Et en même temps, je me dis est-ce que la communion dans le couple, est-ce que c’est un leurre?

[interruption à cause d’un chat]

Est-ce que c’est vraiment euh… Voilà est-ce.. est-ce que d’abord ça existe une communion euh.. plus ou moins hem.. constante ou, même si c’est pas constant, mais en tout cas euh… ou est-ce qu’il y moyen d’éviter ce.. ce.. ce.. ce.. ce truc de la solitude euh.. au ni.. au niveau.. au niveau du couple quoi, tu vois.
J’me dis, ou est-ce qu’on est de.. des pauvres hères comme ça euh… à essayer de communier euh.. comme ça d.. de manière euh.. ponctuelle euh.. Pour se donner une illusion de.. de.. de… de je ne sais pas quoi! (…silence…) U..u.. une i.. une illusion de , j’sais pas, d’un.. pfff… d’éternité peut-être. C’est le mot qui m’vient. C’est peut-être le besoin de.. de de ressentir les choses tellement fort comme si euh.. ça.. ça m.. ça m’permettrait de.. de.. de.., je n’sais pas, de toucher à un b.. à un bout d’éternité quoi. Ou d’imm… non, immortalité, c’est pas le mot. Vraiment, l’éternité, c’est le mot qui me vient.
(…silence…)
Voilà, je ne sais pas comment composer avec ça.
Parfois je.. parfois je.. je.. j’suis triste. Je me sens vide par rapport à ce sentiment là. Et parfois j’me dis mais… c’est ç.. c’… enfin l’humain c’est ça, Laurence. C’est la grande solitude à travers euh n’importe quelle relation que tu peux vivre. Que ce soit des amitiés, que ce soit avec les enfants, que ce soit avec tes parents, ‘fin, ave.. avec ton sang tu vois, j’veux dire… c’est.. ça aussi quoi.
Est-ce que c’est pas un leurre de croire que euh.. on n’est.. on n’est.. on n’est pas seul parce qu’on a une famille ou parce qu’on a un amoureux ou parce qu’on a des enfants?…
C’est mon grand questionnement du moment.

Laurence – Solitude

Hem…
En fait, c’est… quand.. quand tu m’as demandé de.. de trouver les sujets de… bèh des thématiques pour euh.. pour ce projet artistique, je.. j’avais un peu du mal à…
Enfin, une émotion, c’est quand même quelque chose de compliqué à… à.. à trouver. Parce que, enfin moi, c’qui m’caractérise c’est que j.. j.. je.. je ressens, enfin je vis qu.. que à travers ça pratiquement donc… C’était compliqué de faire un choix à travers toutes celles qui me traversent de manière régulière. Et donc, comme.. comme je te l’ai dit au début du truc, j’ai… je suis partie plus vers un sentiment. Quelque chose qui est récurrent justement. Plutôt qu’une émotion.
Et donc il y a quelque chose qui euh… mmm… qui habite ma vie euh… C’est.. c’est la.. c’est la s.. c’est le fait de me sentir seule.
Dans mon couple.

C’est quelque chose qui revient… De manière régulière ou qui existe dans mon couple à c.. certains niveaux de.. de… de la relation.
Et… j’ai.. j’ai eu ça.. avec évidemment les hommes avec qui j’ai été en couple. Hem… J’ai eu ça avec tous.. avec qui j’ai eu une relation longue.. ‘fin avec un amour assez euh.. mature. Donc.. donc pas euh, pas les.. pas les amourettes, pas.. pas les passions qui m’ont traversée. Et.. et ça c’est traduit de.. de.. de différentes manières, quoi. C’est comme si euh.. à chaque forme de solitude, j.. je..je devais faire l’apprentissage de… de l’accepter. De l’accepter ou.. ou… je sais pas. En tout cas, ça existe et qu’est-ce que je fais avec ça?
Voilà.

Donc euh…
La.. la..la toute première fois que je m’suis sentie seule au sein d’un couple, c’était euh.. c’était avec euh… c’était avec Naoufel en fait. Naoufel qui était un.. un de mes premiers petits amis euh qui était tunisien. Une espèce de grand.. de grand échalas comme ça. Tout maigre. Et hem… et en fait, on s’entendait super bien. ‘fin on.. on avait une grande complicité culturelle, musicale. C’est un homme qui m’a fait découvrir plein de musiques, qui m’a… avec qui je sortais beaucoup. On allait beaucoup au cinéma. On a… Donc.. donc la culture, c’est quelque chose qui nous.. qui..qui nous rassemblait. Mais euh.. mais…..mais la…..la.. la solitude que j’ai ressentie avec lui, c’était une solitude sexuelle. Et.. et c’était.. et c’était terrible parce que… il y avait des sentiments des deux côtés. Il y avait des envies de… de se faire du bien. Y avait.. y avait une.. une intention de… une intention d’être un vrai couple quoi, donc euh… où on consomme.. Et ça.. et ça ne fonctionnait pas. Ca ne fonctionnait pas, donc euh.. donc je (…silence…) Tu me comprends. (…rires…) A chaque fois que je… à chaque fois que je… à.. à chaque fois qu’on faisait l’amour, c’était.. en gros, c’était la catastrophe quoi.
C’était.. c’était euh.. C’était l’désert.. c’était l’désert de.. physiquement, ‘fin je.. j… j.. je n’sais pas expliquer. J’crois qu’c’était.. c’était une histoire de.. de chimie qui n’était pas compatible, simplement. Parce que c.. c’est ce que j’ai fini par accepter. Mais évidemment, moi je n.. voilà, j’peux pas vivre en couple avec quelqu’un avec qui je ne peux pas faire l’amour correctement. C’est pas possible. J’crois que lui non plus. Je crois que c’était quelque chose… Ce qui était compliqué, c’est qu’on était jeunes et qu’en discuter, ce n’était pas euh la chose la plus facile à faire. Donc euh… Donc, on n’en a pas beaucoup parlé et je crois que notre relation c’est un peu terminée comme ça sur un… En queue de poisson, hem… Voilà. Donc, solitude sexuelle.

Après… après, il y a eu Philippe. Où il y a eu d’autres formes de solitudes qui.. qui elles étaient… à définir. C’étaient euh… ‘fin là je…..je.. je.. je n’le rej.. rejoignais pas où il était parce qu’il était bipolaire. Mais euh… sérieusement bipolaire donc. Maniaco-dépressif. Et donc que ce soit dans ses.. dans ses moments de folie ou que ce soit dans.. dans ses déprimes les p.. la… la plus totale… Les seuls moments où j’étais en…..en réelle connexion avec lui, c’était au moment où le lithium faisait correctement son effet et qu’il était un peu stabilisé. C’qui dur.. ce qui ne durait jamais euh très.. très longtemps. Et donc euh.. donc régulièrement, je.. je m’sentais toute seule quoi. Parce que.. parce que parfois j’rentrais, il était enfermé dans une armoire. Ca durait des… des.. des semaines et il restait enfermé dans une armoire. Puis, il voulait plus voir les gens. Et puis, il y a des fois, euh… euh.. je rentrais, il y avait des gens chez moi. Il y avait une fille dans mon lit, euh… (rires) Il.. Il ne contrôlait pas tout à fait non plus ses.. sa libido. Donc.. donc euh.. de la sex.. de… de.. de la solitude sexuelle, j’en ai peu connue avec lui mais en même temps, voilà… je… j..je n’a.. je n’étais pas toute seule à le partager, ‘fin… Et donc.. et donc voilà, impossible de le.. hem… voilà.. une solitude dans.. dans la normalité. Je me sentais bêtement normale. Et ma solitude dans le couple, c’était ça. Tu vois, c’était.. euh… c’ét.. c’était impossible de rejoindre sa folie. Impossible. (…silence…) Mais ça, il m’a fallu du temps pour euh.. pour accepter euh l.. le fait que ça n’allait pas fonctionner parce que j’étais raide dingue de lui, parce qu’il y avait… parce qu’il y avait un amour profond.. entre lui et moi. Et hem.. voilà.
(…silence…)
Voilà. Je ne sais pas s’il est seul où il est en fait. Il a… il a décidé de se donner la mort donc euh…
(…silence…)
Voilà.

(…silence…)

Et puis alors, il y a eu Olivier G. Le père de mes enfants. Et alors lui… avec lui, je me suis sentie très longtemps… euh… pas seule! Je me dis ça y est, j’ai trouvé l’Eldorado. Hem…
(…silence…)
Et en fait, on est.. on.. on.. on.. on s’entendait sur euh.. sur plein de points et on était dans une communion euh.. dans une communion d’esprit, dans une communion de corps assez forte aussi hein… En tout cas pendant très longtemps. Et.. et puis euh… (…silence…) Et puis un jour en fait, je m.. je m’souviendrai toujours euh.. le moment où.. où.. où.. où l.. où la solitude dans ce couple m’est tombée euh… sur la tronche.
C’ét.. c’était.. c’était sur la terrasse, chez nous. Il y avait des copains qui étaient là. Il y avait de la musique. Il y avait des conversations dans tous les sens. Tout le monde avait un peu bu, euh.. avait un peu fumé et tout ça. Et hem… Et il parlait d’un… d’un.. d’une histoire, d’un s.. d’une idée de scénario avec quelqu’un et euh… ‘fin, ça faisait quand même un an et demi, deux ans que.. qu.. qu’il avait décidé de devenir indépendant. Qui.. qui.. qu’il qui.. qui.. qu’il voulait euh.. tester, tenter l’écriture, que ce soit journalistique ou autre, créative et.. Et en fait, il a… J.. Je l’ai suivi dans.. dans.. dans ses débuts d’écriture. Et donc, j’ai énormément relu ce qu’il faisait. J.. je lui ai donné tout le temps des feedbacks constructifs. J’ai corrigé des choses. Euh… on parlait de ses idées etc. Et puis là, i.. i.. il parle à cette euh.. à cette personne, je crois que c’était un copain. Et euh.. et j’entends qu’il raconte une histoire et moi j’étais.. j’étais occupée à terminer ma conversation avec quelqu’un d’autre. Et puis un moment donné, je me retourne pour entrer dans la conversation. Je lui dis hem.. “tiens, c’est quoi ce.. cette idée dont tu parles?..”, – je ne sais plus avec qui c’était; je me demande si c’était pas avec Jacques, Jacques T. Et là, il se retourne vers moi et il me dit, euh… “Je.. je ne dois pas te parler de tout.” (…silence…) Et je lui dis euh.. “OK.” Et euh.. je dis “Non mais c’est parce que comme tu me fais lire plein de choses et tout hem…” Et là, il me dit “De toute façon, Laurence, tu .. tu n’es plus ma muse.”
(…silence…)
Et là, j’ai senti euh.. un trou, un vide en-dessous de moi. Un.. un.. une trahison terrible. J’ai.. j’ai.. j’ai l’impression d’avoir été hem.. enfin qu’il y avait une caméra qui faisait zoom arrière et que.. que j.. qu.. que je v.. que je voy.. que je me retirais de mon corps et que je voyais la scène. Et que, comme dans.. dans les films, t.. tu vois comme quand les gens sont saouls ou qu’i.. qu’i.. hem.. ou qu’ils sont drogués ou quoi, il y a ce brouhaha, ces voix qui.. qui deviennent ouateuses euh.. le fond musical qui est un peu dis… qui.. qui… distor.. distordu, j’sais pas comment on dit. Et euh… et j’ai.. et j’ai.. j’ai.. enfin, ça a fait.. ça m’a fait un trou dans le coeur, mais terrible quoi. Terrible.
(…silence…)
Je découvrais en même temps que j’avais été sa muse et que je ne l’étais plus. Tu vois ce que je veux dire? Et c’était vraiment quelque chose de.. de terrible parce que.. parce que je n.. je n.. je n’avais eu.. euh… je n’avais pas eu à la limite l’occasion de… de.. de ressentir ce que ça avait été réellement d’être une muse quoi. Parce que c’est quand même pas… c’est quand même pas quelque chose de.. d’anecdotique quand un homme… te dit que.. que.. que tu es sa muse, tu vois. Donc, il ne me l’avait jamais dit. Ou j.. ou.. ou.. ou il ne me l’avait jamais fait ressentir et là, il m’annonçait que je ne l’étais plus. D.. donc, je me prenais les deux informations en une fois… dans la gueule, quoi, tu vois. Donc, c’est quand même assez.. euh… Et.. et.. et et j’ai vécu ce moment mais c’est.. je crois que c’est le plus grand moment de solitude que j’ai vécu dans ma vie. Vraiment. Mais vraiment, hein. J’ai.. j’ai eu du mal avec ça. J’étais.. (…silence…) (soupir) (…silence…)
J’trou.. j’trouvais ça vraiment dégueulasse quoi. J’étais.. j’étais en colère contre lui; je… c’est..c’est comme si il niait tout.. tout ce que j’avais été, tout ce que j’avais fait pour lui, tout… Tu sais, c’est.. ‘fin… J’sais pas. Quelqu’un qui décide de plaquer son boulot, qui gagnait quatre-vingt mille balles par mois à l’époque, moi, j’en gagnais cinquante mille chez Warner et qui dit à son mec euh… “ben voilà, fais ce que tu as envie de ta vie euh.. c’est maintenant que tu dois.. faire ce que tu veux” et puis que à la première occasion euh… c’est.. c’est… Dès.. dès que les ailes s’ouvrent un peu, hop, il te… il te met dans.. ‘fin, il te rejete, quoi. C’était vraiment un sentiment de rejet mais terrible quoi, c’est ça.
J.. j’ai jamais vécu ça avec quelqu’un d’autre. Jamais, jamais, jamais. C’était vraiment euh… la chose la plus dure émotionnellement qui me soit arrivée, j’crois.
J’crois que la mort de mon père était moins dure.
(…silence…)
Voilà…
Alors euh…

(…silence…)

Après il y a eu la solitude de ne pas.. de ne pas aller vers le même projet. Ca, c’était avec Eddy.
Où euh… où je sentais une complétude aussi très forte quand j’étais avec lui. Et euh… voilà.. son histoire n’était pas facile. J’pense qu’il avait.. il n’avait pas envie de s’engager avec moi. Et donc, je suis restée très longtemps dans.. dans dans ce sent.. sentiment de.. de… Je me sentais seule à vouloir quelque chose.
(…silence…)
Je me sentais seule à… à.. à à.. à faire avancer la relation et je me leurrais en me disant “à certains moments, il a réagi à ça ou il m’a dit ceci ou…” comme s’il y avait des états d’avancement mais ça en.. ça n’en étaient pas en fait. C’est.. c’est moi qui me faisait une histoire vraiment toute seule dans ma tête. Là, j’crois que c’était plus m’accrocher à une illusion que je p.. je r.. je pouvais refaire un couple qu’autre chose en fait. Et donc, j’ai vécu ça euh…
Mais les moments de solitude que j’ai s.. que j’ai vécus avec lui aussi étaient très forts parce que.. comme j’étais beaucoup seule, je ne le voyais pas beaucoup – c’était sa manière de fonctionner – on.. on se voyait parfois euh.. toutes les deux, trois semaines. On passait vingt-quatre heures ensemble. Je reprenais un gros shoot et puis hem… Et puis je restais dans cette solitude et alors c’était vraiment marrant parce que, parce que… mes sent.. les sentiments étaient très forts les quarante-huit premières heures. J.. je.. j’étais habitée de lui, j’étais enivrée de sa présence, de sa peau, de son odeur, de… de la musique qu’on avait écoutée, de ce qu’on avait mangé, de ce qu’on avait bu, de nos promenades, des discussions, enfin d.. de.. de.. de rrhhh tout ce truc. Et puis petit à petit, je.. j.. j’arrivais à un moment où ça basculait dans le manque et j’étais comme une droguée. Heu… un truc… je.. j’errais comme ça dans.. dans… dans.. dans.. avec la seule envie, c’était.. c’était de me re.. renourrir de.. de.. de lui quoi.
(…silence…)
C’est très particulier comme truc. (…silence…) Voilà…

[…]

Et alors ici, ben voilà, ici, ça fait quatre ans aujourd’hui que.. que je sors avec euh… avec Olivier M. Et.. hmmm…
(…silence…)
Et lui, en fait, je souffre de ses.. c’est pas “je souffre de ses absences”, je souffre de ses non présences.
(…silence…)
Parce que… l’être… l.. quand la personne est absente, c’est.. c’est.. c’est pas ce qui est le plus dur pour moi. C’est quand la personne n’est pas avec moi au moment où il est avec moi, physiquement. Voilà, et il y a des moments… y a beaucoup de moments comme ça et je pense que c’est lié à… à un travail qu’Olivier doit faire sur lui-même. A… hem, voilà, je crois que c’est un homme qui a des choses à régler. Il doit se réconcilier… avec qui il est. Aller vers.. vers un… vers qui il est vraiment j’crois. Et donc, euh… la solitude par rapport à lui, c’est.. c’est.. c’est lié à l’intensité. C’est que parfois j’ai l’impression de.. de.. de m’exalter toute seule. Qu’y a pas de… de ping-pong au niveau de.. de mon… de.. de.. de cette exaltation, de cette intensité que je lance comme ça et que ça rebondit pas sur lui, que.. que j’ai pas le… que j’ai pas le répondant euh.. aussi.. aussi intense que.. que je le souhaiterais. Que ce soit au niveau intellectuel, au niveau physique, que ce soit au niveau spirituel, ‘fin… Voilà, je suis dans un besoin de.. de.. de.. d’intensité et.. ça m’manque. Ca me manque et donc parfois, je..j’ai.. j’ai l’impression de… (…silence…) oui.. d’être tout.. d’être toute seule à avoir des besoins aussi forts quoi, tu.. aussi forts tu vois. Je.. j.. j.. je m’dis m’enfin euh… est-ce que c’est.. (…petit rire…) est-ce que c’est mon karma de me sentir si seule dans le couple pour.. enfin… C’est pas.. c’est pas… euh.. c’est pas non stop, quoi. Et en même temps, je me dis est-ce que la communion dans le couple, est-ce que c’est un leurre?

[interruption à cause d’un chat]

Est-ce que c’est vraiment euh… Voilà est-ce.. est-ce que d’abord ça existe une communion euh.. plus ou moins hem.. constante ou, même si c’est pas constant, mais en tout cas euh… ou est-ce qu’il y moyen d’éviter ce.. ce.. ce.. ce.. ce truc de la solitude euh.. au ni.. au niveau.. au niveau du couple quoi, tu vois.
J’me dis, ou est-ce qu’on est de.. des pauvres hères comme ça euh… à essayer de communier euh.. comme ça d.. de manière euh.. ponctuelle euh.. Pour se donner une illusion de.. de.. de… de je ne sais pas quoi! (…silence…) U..u.. une i.. une illusion de , j’sais pas, d’un.. pfff… d’éternité peut-être. C’est le mot qui m’vient. C’est peut-être le besoin de.. de de ressentir les choses tellement fort comme si euh.. ça.. ça m.. ça m’permettrait de.. de.. de.., je n’sais pas, de toucher à un b.. à un bout d’éternité quoi. Ou d’imm… non, immortalité, c’est pas le mot. Vraiment, l’éternité, c’est le mot qui me vient.
(…silence…)
Voilà, je ne sais pas comment composer avec ça.
Parfois je.. parfois je.. je.. j’suis triste. Je me sens vide par rapport à ce sentiment là. Et parfois j’me dis mais… c’est ç.. c’… enfin l’humain c’est ça, Laurence. C’est la grande solitude à travers euh n’importe quelle relation que tu peux vivre. Que ce soit des amitiés, que ce soit avec les enfants, que ce soit avec tes parents, ‘fin, ave.. avec ton sang tu vois, j’veux dire… c’est.. ça aussi quoi.
Est-ce que c’est pas un leurre de croire que euh.. on n’est.. on n’est.. on n’est pas seul parce qu’on a une famille ou parce qu’on a un amoureux ou parce qu’on a des enfants?…
C’est mon grand questionnement du moment.


A propos de cette rencontre

Ah Laurence !

Une amie qui m’est particulièrement précieuse. Avec laquelle nous avons partagé rires, larmes, enthousiasmes et coups de gueule.
Une femme entière, pleine, ronde d’une intégrité qui a toujours forcé mon respect. C’est une combattante. Elle refuse les compromis frileux, les consensus a minima, les atermoiements tremblants. Elle est de celles qui se lèvent lorsque les autres restent assis ou, pire courbent la nuque.

Laurence elle met de la vie dans la Vie. Elle rend leur éclat aux couleurs. Elle chasse la tiédeur pour retrouver l’intensité revigorante du gel ou du feu.

Laurence ne craint pas de parler « vrai », elle ne craint pas de livrer son intimité comme le prouvent ses propos liés au sentiment de solitude qui a régulièrement traversé sa vie de couples (le « s », étant ici noté à dessein).
Chaque fois que je les relis, je suis troublé par cette franchise et j’ai envie de la serrer dans mes bras pour la remercier de ce cadeau incroyable qu’elle m’a fait.